A chantar m'er
Cette chanson de Beatritz de Dia (1135-1185) est la seule chanson de trobairitz (femme troubadour) qui nous soit parvenue avec les paroles et la musique.
A chantar m'er
Je chanterai
Chanson d'amour
Chanson d'amour
(Occitan)
(Français)
A chantar m'er de so qu'eu no volria,
tant me rancur de lui cui sui amia;
car eu l'am mais que nuilla ren que sia:
vas lui no.m val merces ni cortezia
ni ma beltatz ni mos pretz ni mos sens;
c'atressi.m sui enganad' e trahia
Com degr' esser, s'eu fos dezavinens.
D'aisso.m conort, car anc non fi faillensa,
Amics, vas vos per nuilla captenenssa;
ans vo am mais non fetz Seguis Valensa,
e platz mi mout quez eu d'amar vos vensa,
lo meus amics, car etz lo plus valens;
mi faitz orgoil en digz et en parvensa,
et si etz francs vas totas autras gens.
Meraveill me cum vostre cors s'orgoilla,
amics, vas me, per qui'ai razon queu.m doilla;
non es ges dreitz c'autr' amors vos mi toilla,
per nuilla ren que.us diga ni acoilla.
E membre vos cals fo.l comensamens
de nostr'amor! Ja Dompnedeus non voilla
qu'en ma colpa sia.l departimens.
Proeza grans, qu'el vostre cors s'aizina
e lo rics pretz qu'avetz, m'en ataïna,
c'una non sai, loindana ni vezina,
si vol amar, vas vos no si' aclina;
mas vos, amics, etz ben tant conoissens
que ben devetz conoisser la plus fina;
e membre vos de nostres partimens.
Valer mi deu mos pretz e mos paratges
e ma beutatz e plus mos fins coratges;
per qu'eu vos man lai on es vostr' estatges
esta chanson, que me sia messatges:
e voill saber, lo meus bels amics gens,
per que vos m'etz tant fers ni tant salvatges;
no sai si s'es orgoills o mal talens.
Mais aitan plus voill li digas, messatges,
qu'en trop d'orgoill an gran dan maintas gens.
Je chanterai ce dont je n'aurais pas voulu [chanter];
Tant je me plains de celui dont je suis l'amie,
Car je l'aime plus que toute chose :
Auprès de lui ne me valent pitié ni courtoisie,
Ni ma beauté ni ma valeur, ni mon esprit ;
Car ainsi je suis trompée et trahie
Comme je le devrais l'être si j'étais déplaisante.
De cela je me console, car jamais je ne faillis envers vous,
Ami, en aucune manière.
Au contraire, je vous aime plus que Seguin n'aima Valence*
Et il me plait fort que je vous surpasse en amour,
Mon ami, car vous êtes le plus valeureux ;
Envers moi vous faites l'orgueilleux en paroles et conduite,
Et vous êtes affable envers les autres gens.
Je m'étonne [de voir] comme votre cœur se montre orgueilleux
Envers moi, ami, et j'ai des raisons d'en souffrir ;
Il n'est pas juste qu'un autre amour vous prenne à moi
Pour nulle chose qu'elle vous dise ou permette.
Et rappelez-vous quel fut le commencement
De notre amour ! Que jamais le Seigneur Dieu ne veuille
Que la séparation soit de ma faute.
La grande bonté qui demeure en votre cœur
Et le riche prix que vous avez, m'inquiètent,
Car je n'en connais aucune, lointaine ni voisine,
Si elle veut aimer, vers vous ne s'incline ;
Mais vous, ami, vous êtes si bien expert
Que vous devez bien connaitre la plus parfaite ;
Et vous rappeler nos accords.
À mon mérite doivent servir mon prix et ma naissance
Et ma beauté et mon plus parfait courage,
C'est pourquoi je vous envoie en votre demeure,
Cette chanson, pour qu'elle soit mon messager :
Et je veux savoir, mon bel et doux ami,
Pourquoi vous êtes si cruel et si farouche envers moi ;
Je ne sais si c'est de l'orgueil ou de la mauvaise intention.
Mais je veux que tu lui dises, messager,
Que trop d'orgueil nuit à maintes gens.
Notes
* Seguin et Valensa sont des amants légendaires dans un roman aujourd'hui perdu. La seule autre mention de ce couple mythique se trouve dans la chanson "Tant m'abellis e.m plaz" d'Arnaut de Marueil (12ème siècle), ligne 166 "Ni Valensa Seguis". (La différence entre "Seguin" et "Seguis" est due à la déclinaison de l'ancien occitan)
Commentaires
Vous pouvez voir la musique originale dans ce manuscrit (Manuscrit du Roi) à la Bibliothèque Nationale de France. Le manuscrit a été copié au milieu du 13ème siècle.
La version de la chanson chantée par Martina de Peira est la plus fidèle à la prononciation de l'époque. Elle chante les couplets 1, 3 et 5.
Partition
Remerciements
Image : "Recueil des poésies des troubadours, contenant leurs vies" (Date du manuscrit : 1201 - 1300). Vous pouvez lire la chanson entière dans le manuscrit sur cette page en bas à droite et en haut à gauche de la page suivante ici.
Partition : Notation moderne, cc.
Mercés